Comment fonctionne réellement le leadership par l’humilité par Dan Cable
Voici un très bel exemple de l’utilité du coaching et de la collaboration générative en milieu professionnel.
Lorsque j’accompagne une personne qui est responsable d’une équipe, moi je ne vois pas directement le tyran qui menace et critique tout et tous le monde. Non, moi je vois une personne désarmée, écrasée par le poids de ses responsabilités.
Le mécanisme se répète de façon presque infaillible, plus la sensation de responsabilité est élevée plus le besoin de contrôle s’accroit.
Plus le leader essaye de contrôler ses collaborateurs, plus la confiance qu’il inspire s’amoindrit, plus il se sent seul à piloter, plus il se sent responsable, plus il essaye de reprendre le contrôle, etc…
Pour devenir un leader-serviteur, il faut d’abord prendre conscience de la vraie valeur de ses collaborateurs.
Quand vous êtes un leader – peu importe depuis combien de temps ou les difficultés rencontrées pour y arriver –, à moins que vous sachiez tirer le meilleur de vos employés, vous ne faites que contribuer aux frais généraux de l’entreprise. Et ça, malheureusement, beaucoup de dirigeants l’oublient. Le pouvoir, ainsi que ma collègue Ena Inesi l’a étudié, peut amener les managers à se concentrer à l’excès sur les résultats et les contrôles, et, ce faisant, à traiter leurs subordonnés comme de simples moyens pour parvenir à leurs fins. Mais comme je l’ai moi-même découvert au cours de mes recherches, cela ne fait qu’accroître la peur chez les gens – peur de ne pas remplir ses objectifs, peur de ne pas toucher son bonus, peur de l’échec –, les empêche de ressentir des émotions positives et étouffe en eux tout désir d’expérimenter et d’apprendre.
Prenez par exemple une société britannique de livraison de produits alimentaires que j’ai étudiée. Plus la direction concentrait son attention sur des données chiffrées dans l’espoir de réduire les coûts et d’améliorer les délais de livraison, plus l’implication de ses chauffeurs, qui chaque jour livrent du lait et du pain à des millions de clients, déclinait. Chaque semaine, les managers les réunissaient pour un débriefing et passaient en revue, papier et stylo à la main, la liste des problèmes constatés, des plaintes reçues et des erreurs commises. Un moment qui n’enthousiasmait personne, quel que soit le côté où l’on se plaçait. Au bout d’un moment, les chauffeurs, dont certains travaillaient pour l’entreprise depuis des dizaines d’années, ont commencé à éprouver une certaine rancœur vis-à-vis de la direction.
Aider ses subordonnés à grandir
Non seulement ce type de leadership du sommet vers la base n’est plus d’actualité, mais il est contre-productif. En se concentrant à l’excès sur les contrôles et les objectifs finaux et pas assez sur leurs employés, les dirigeants ont plus de difficultés à atteindre les résultats qu’ils désirent. La clé est d’aider les individus à se sentir utiles, motivés et dynamisés de façon à ce qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes au travail. Ainsi que je le montre dans mon dernier ouvrage « Alive at Work » (Harvard Business Review Press, 2018), il existe plusieurs moyens d’y parvenir. L’un des meilleurs est d’adopter l’état d’esprit d’un leader-serviteur, un type de leader qui se voit en serviteur de ses subordonnés, en soutien tangible et émotionnel au fur et à mesure que ces derniers expérimentent et grandissent (lire aussi la chronique : « Le leader collectif : le pouvoir par la confiance »).
Pour dire les choses clairement, les leaders-serviteurs ont l’humilité, le courage et la clairvoyance d’admettre qu’ils peuvent bénéficier de l’expertise de ceux qui détiennent moins d’autorité qu’eux. Ils sollicitent activement les idées et les contributions des employés qu’ils servent. C’est ainsi qu’ils créent une culture de l’apprentissage et un environnement de travail qui encourage leurs subordonnés à devenir les meilleurs individus possible. L’humilité et le leadership de soutien n’impliquent pas que les dirigeants souffrent d’un manque d’estime de soi ou qu’ils doivent adopter une attitude servile. Au contraire, cette forme de leadership insiste sur le devoir du dirigeant de favoriser l’appropriation, l’autonomie et la responsabilisation de ceux qui le suivent – de les encourager à penser par eux-mêmes et à essayer de nouvelles idées. Voici comment procéder.
Demandez à vos employés comment vous pouvez les aider à mieux faire leur travail, puis écoutez-les.
L’idée est simple : plutôt que de dire à vos employés comment mieux faire leur travail, commencez par leur demander comment vous pouvez les y aider. Les effets d’une telle approche peuvent se révéler puissants. Considérez l’entreprise de livraison de denrées alimentaires mentionnée précédemment. Après que de nouveaux concurrents ont bousculé son modèle de fonctionnement traditionnel, l’équipe de direction a décidé qu’il fallait que les choses changent. Pour rester compétitif, son service client se devait d’être remarquable, mais, pour ce faire, le management devait pouvoir compter sur ses employés qui fournissaient le service et, de plus trouver des idées novatrices.
Après avoir travaillé avec des consultants de chez PricewaterhouseCoopers et suivi une formation, l’équipe de direction a testé un nouveau format pour ses réunions hebdomadaires d’évaluation des performances avec ses chauffeurs. En quoi consistait cette nouvelle approche ? Au lieu de passer les problèmes en revue un par un, chaque manager demandait à ses chauffeurs : « comment puis-je vous aider à délivrer un service hors pair ? » Comme le montrent les études menées par Bradley Owens et David Heckman, les dirigeants ont besoin d’adopter ce type de comportement de soutien envers leurs employés de façon à ce que ceux-ci servent mieux les clients.
Comme vous pouvez vous en douter, au début, tout le monde a été sceptique. L’antipathie des chauffeurs envers leurs managers était forte et la confiance au plus bas. Mais comme les responsables de dépôts n’arrêtaient pas de demander « comment puis-je vous aider à délivrer une excellente qualité de service ? », certains chauffeurs ont commencé à faire des suggestions. Par exemple, l’un d’entre eux a proposé de nouveaux produits tels que le Gogurt (yaourt en tube à emporter, NDLR) et le fromage à effilocher que les parents pourraient se faire livrer tôt et glisser dans les paniers-repas de leurs enfants avant qu’ils ne partent à l’école. Un autre a proposé un moyen de faire remonter l’information sur les ruptures de stock plus rapidement pour réduire le nombre de commandes incomplètes.
Les bonnes idées se trouvent sur le terrain
Les petits changements alimentent un cercle vertueux. Plus les livreurs se voyaient crédités pour leurs idées et plus celles-ci étaient mises en place, plus ils étaient enclins à en soumettre de nouvelles, ce qui impressionnait les chefs de dépôt et renforçait leur respect envers leurs employés qui avaient alors d’autant plus envie de jouer le jeu. Les responsables de dépôt ont aussi appris que certaines des soi-disant « erreurs » commises par les chauffeurs étaient en fait dues à des innovations qu’eux-mêmes avaient introduites pour simplifier les procédures en place tout en continuant à livrer les produits en temps et en heure. Ces innovations ont permis à l’entreprise d’améliorer la qualité de son service client.
En définitive, la leçon à retenir est la suivante : les opérationnels d’une organisation savent souvent mieux que vous comment bien faire leur travail. Respecter leurs idées et les encourager à essayer de nouvelles approches pour s’améliorer encore ne peut que les inciter à donner le meilleur d’eux-mêmes. Comme l’a résumé un responsable de zone : « Nous pensions vraiment connaître nos livreurs sur le bout des doigts, mais nous avons pris conscience qu’il y avait plein de choses que nous n’avions pas comprises. Nos réunions hebdomadaires sont beaucoup plus interactives à présent et les conversations plus franches et adultes dans leurs formes. Il est difficile de décrire avec des mots les changements dont nous avons été témoins. »
Créez des espaces à faible risque pour les employés pour leur permettre de réfléchir à de nouvelles idées.
Parfois, la meilleure façon dont les dirigeants peuvent servir leurs employés – et leur entreprise – est de créer une zone de faible risque pour que les employés puissent y tester leurs idées. Ce faisant, ils encouragent ces derniers à repousser les limites de leurs savoirs. Par exemple, quand Jungkiu Choi a déménagé de Singapour en Chine pour prendre la tête de la branche banque de détail de la Standard Chartered, il était entendu que, comme ses prédécesseurs, il se rendrait régulièrement dans les différentes agences pour mettre la pression sur les directeurs afin qu’ils réduisent leurs coûts. Des visites que le personnel des agences passait des semaines à préparer fiévreusement.
Cependant, Jungkiu a changé la nature de ces visites. Plutôt que de mettre l’accent sur son pouvoir formel, il se présentait dans les différentes agences de façon inopinée, en commençant par servir un petit déjeuner à l’ensemble du personnel (lire aussi l’article : « Pour être un bon leader, créez du lien »). Ensuite, il réunissait les employés en « peloton » et leur demandait comment il pouvait les aider à améliorer le fonctionnement de leur agence. Alors qu’au début, la plupart d’entre eux étaient surpris et ne savaient pas comment réagir, Jungkiu a réussi, grâce à son approche, à calmer leurs inquiétudes et à encourager l’épanouissement de nouvelles idées.
En un an, il s’est rendu dans plus de 80 agences disséminées à travers 25 villes, sa persévérance et son désir d’aider finissant par convaincre les employés les plus sceptiques. Les pelotons permettaient de mettre à jour de nombreux « points de friction » faciles à résoudre (par exemple, des sessions de formation au nouveau système informatique bancaire ou l’acquisition de mémoire additionnelle pour les anciens ordinateurs afin que le nouveau logiciel fonctionne correctement sur ces machines).
Des propositions pertinentes et inattendues
Certaines innovations proposées par les employés ont été plus conséquentes. Ainsi, l’une des agences de Shanghai était située dans un centre commercial. Lors d’un peloton, les employés ont demandé à Jungkiu s’ils pouvaient adopter les horaires d’ouverture et de fermeture du centre (plutôt que de rester calqué sur celles prévues pour toutes les agences). L’équipe voulait tester l’ouverture de l’agence durant les week-ends. Au bout d’à peine quelques mois, les revenus générés le week-end par l’agence ont dépassé l’ensemble de ceux du reste de la semaine. Cette idée, Jungkiu ne l’avait même pas envisagée. Ces expérimentations ont payé en termes de performance pour l’entreprise. La satisfaction client a crû de 54 % durant les deux années de leadership par l’humilité de Jungkiu, tandis que les plaintes, elles, diminuaient de 29 %. Dans le même temps, le taux de départ des employés, jusque-là l’un des plus élevés de toutes les banques étrangères implantées en Chine, est tombé à l’un des niveaux les plus faibles parmi ces banques.
Souvent, les leaders ne perçoivent pas la vraie valeur de ceux dont ils ont la charge, surtout des travailleurs au bas de l’échelle hiérarchique. Mais quand ils sont humbles, respectueux et qu’ils proposent leur aide aux employés pour faire progresser l’entreprise, les résultats peuvent être spectaculaires. Peut-être plus important encore, les leaders-serviteurs se conduisent alors comme de meilleurs êtres humains.